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Le documentaire Algérie mon Amour de Mustapha Kessous diffusé le 26 mai sur France 5 a suscité de multiples remous et des réactions virulentes qui méritent d’être analysés.

Un marketing trompeur
Le documentaire a été présentée comme le premier film sur le hirak diffusé par une chaine publique française. Le teaser, largement diffusé, mettait clairement l’accent sur le mouvement citoyen algérien et la révolte de sa jeunesse. Les spectateurs, notamment du coté algérien, ont donc été surpris de voir que les sujets sociétaux et le mal être d’une partie de la jeunesse a en réalité été au centre du reportage. Assez loin de l’ambition de Mustapha Kessous qui annonçait vouloir à travers son film « comprendre et expliquer pourquoi les Algériens avaient enfin décidé de se soulever après tant d’années de résignation »
Le choix des 5 jeunes qui témoignent dans le film a aussi été critiqué car insuffisament représentatifs de la jeunesse algérienne. Parfaitement francophones, adeptes de heavy metal pour l’un d’entre eux, défenseur d’un militant indépendentiste kabyle pour un autre, les profils des jeunes ne rendaient certainement pas compte de toute la diversité du hirak, notamment de sa frange populaire et conservatrice.
Mustapha Kessous a défendu son casting en disant qu’il avait cherché « des représentants de toutes les couches sociales du nord au sud, d’est à l’ouest du pays, mais face caméra, certains ont eu du mal à se livrer ». Pour lui «les cinq témoins sont issus du peuple, voilà l’essentiel. Ces jeunes expriment avec justesse ce que ressentent les autres » .
Mustapha Kessous doit néanmoins savoir que peu de jeunes issus de milieux populaires ont accès à des dikis et peuvent se permettre des soirées mixtes arosées sur une terrasse des hauteurs d’Alger.
Pourquoi par ailleurs ce parti pris de n’interroger que des francophones? Le hirak a mis en avant la très bonne maitrise de la langue arabe par un grand nombre de jeunes activistes brillants et éloquents. Pourquoi ne pas leur avoir donné la parole ? Ca aurait peut être permis de présenter d’autres facettes de la jeunesse en dehors d’Alger, d’Oran et de la Kabylie.

La difficulté de se retrouver dans le regard des autres
Il est clair que Mustapha Kessous et les producteurs de Premières Lignes ont privilégié l’audimat au détriment d’une plus grande authenticité du documentaire. D’où le casting des 5 intervenants francophones mais également le choix des thèmes sociétaux probablement jugés plus intéressants pour le public français. Il semble que l’objectif a été atteint à en juger par les avis très positifs des critiques professionnels français qui contrastent avec l’accueil reçu par le film en Algérie : Documentaire passionnant pour l’Obs, précieux pour le Canard Enchaîné alors que pour l’Humanité Dimanche pour qui le le film fait « entendre la voix de toute une jeunesse militante » et est « incontournable».

Mustapha Kessous souhaitait « traiter ce documentaire comme les autres, en traitant l’Algérie comme un objet journalistique, de manière dépassionnée ». Il a du cependant se trouver écartelé entre son souci d’objectivité, son souhait d’apporter une contribution à son pays et les impératifs des producteurs du reportage. Le réalisateur mentione ainsi son souhait que régime comprenne mieux sa jeunesse et l’amour qu’elle porte à son pays. Il estime également qu’il « faudra bien s’attaquer aux problèmes sociétaux qui rongent l’Algérie, et en parler ». Pour lui ce film est une véritable « déclaration d’amour ».

Des réactions disproportionnées et complotistes
Les réactions négatives à l’encontre du film ne sont pas fait attendre. Comme l’a noté avec humour le journaliste Tarek Draoui « à 7 heures, tous les posts des hirakistes invitent à se mettre sur France 5. 21 heures, tous les posts des hirakistes insultent France 5. Oh mon dieu qu’est-ce que la France peut susciter comme sentiments l’espace de quelques heures… dans mon pays" .

Des membres du hirak vont même jusqu’à écrire au CSA "en repprochant au reportage de reduire « le mouvement du Hirak à une revendication de jeunes en quête de liberté de mœurs et de liberté sexuelle » et en accusant « la chaîne de sciemment discréditer le Hirak aux yeux de la population algérienne et à le diviser sur le sujet, soulignent les auteurs anonymes de la missive. [...] Par ailleurs, alors qu’il y a des centaines de prisonniers politiques liés à ce mouvement de contestation dans le pays dont la majorité sont de fervents nationalistes, le seul prisonnier politique qui a été interviewé est un “indépendantiste kabyle” laissant sous-entendre au public que tous les détenus politiques sont des menaces à l’unité nationale. Par ces faits, tout nous laisse donc croire que ce reportage fait partie d’une campagne médiatique orchestrée par le système pour discréditer le Hirak et diviser la population Algérienne sur le sujet. [...]".

Le Gouvernment algérien n’est pas en reste qui rappelle à Paris son ambassadeur pour consultations et publie un communiqué dans lequel il dénonce des attaques contre « le peuple algérien et ses institutions». Suite à quoi la porte-parole du Quai d'Orsay a déclaré que «l'ensemble des médias jouissent d'une complète indépendance qui est protégée par la loi en France ».

Le journaliste Akram Belkaid s’est demandé dans sa dernière chronique pourquoi un documentaire diffusé par une télévision française pour un public français (même si chacun sait que cela sera regardé au pays) a provoqué autant de passions en Algérie ? Pour lui la réponse n'est pas simple mais il propose des pistes. « Premièrement, le narcissisme national pousse à penser que le documentaire est d'abord (et uniquement ?) destiné aux Algériens. Que c'est un message transmis par l'ancienne puissance coloniale et que cela entre certainement dans un schéma stratégique qui n'a rien à voir la programmation ordinaire d'une chaîne de télévision. Deuxièmement, comme cela vient de France, cela provoque nécessairement des réactions épidermiques. Lesquelles, hélas, mille fois hélas, sont bien moins importantes quand une télévision algérienne diffuse un « débat » où le Hirak est qualifié de complot ourdi en France (encore elle...). »

Et de souhaiter « que naisse une bronca comparable en raison du fait que, de sa prison, Karim Tabou (ou les autres détenus d’opinion NDLR) n'a pas le droit d'appeler les siens. Voilà un vrai sujet d'indignation. Mais là, silence radio pour beaucoup de e-hirakistes ou hirak-clickistes. »

Et de dénoncer l’obsession permanente du complot. « Pour le régime, le Hirak est une machination de la main de l'étranger. Pour certains de ceux qui n'ont pas apprécié le documentaire de Kessous, ce film est un complot destiné à discréditer et à abattre (excusez du peu) le Hirak. Comment expliquer à ces gens que, non, l'Algérie n'est pas au centre du monde. »

De nombreuses voix se sont néanmoins exprimées pour critiquer les excès des uns et des autres tout en denonçant le verrouillage médiatique et le fait que « les conditions de liberté de création de production de diffusion ne sont pas réunies pour que nos récits du Hirak aient pu prendre forme et soient débattus là où s’est jouée l’histoire" écrit Omar Z qui « ne s’est senti ni insulté ni trahi ni floué par un 'objet audiovisuel de flux' de la télé française que j’ai vu par effraction grâce à mon démo pirate. ». Tandis que Nadia Leila Aissaoui préconise pour sa part une « solution radicale pour les partisan.e.s du ' j’aurais voulu voir ceci, j’aurais voulu voir cela… » à qui elle propose « de boycotter à jamais toutes les chaînes françaises et les médias en signe de protestation et de se mettre au travail pour nous donner à voir ce qu’ils/elles auraient voulu voir…". .
Le documentariste algérien Malik Bensmaïl considère de son coté qu’"on se regarde à travers le regard de l’Autre, alors comment se débarrasser de l'Autre qui nous regarde ? Problématique non réglée."

Le défi du respect de l’altérité
Les attaques contre les jeunes filmés par M. Kessous ont également mis en relief les progrès qu’il reste à réaliser en matière d’acceptation de l’alterité et de la différence. Said Salhi, un des leaders du hirak a du ainsi voler au secours des hirakistes mis en cause en exprimant « sa solidarité avec ces jeunes qui se sont exprimés dans ce reportage, … ils n'ont rien à démontrer ou à justifier leurs engagements auprès du Hirak et en faveur du changement démocratique, ils n'ont fait qu'exprimer leurs opinions, frustrations, rêves en toute spontanéité. Ils ont révélé une réalité et une des facettes de notre société, de notre Algérie. On peut ne pas être d'accord avec leurs propos, mais on a pas le droit de les diaboliser, stigmatiser. … C'est aussi leurs Hirak, respectons leurs opinions.
Cette Algérie, qui n'est pas monolithique, c'est justement cette société de la diversité (idéologique, culturelle, confessionnelle, linguistique,...) que le Hirak nous a fait découvrir après tant d'années d'unicisme forcé, on l'a vu dans les marches, où toutes les sensibilités s'expriment, cohabitent et se cherchent, débattent pour trouver des compromis, des consensus dans le vivre ensemble dans la diversité et en démocratie ».

Quelques soient les perceptions des uns et des autres sur le documentaire de M. Kessous, il est clair que celui-ci aura au moins eu le mérite de souligner un des défis les plus importants à relever par le mouvement citoyen : celui de l’acceptation de la diversité et de la différence au sein d’un mouvement citoyen appelé à rester uni dans la pluralité. Il aura également rappelé que des questions fondamentales comme celles du mal être des jeunes, de la sexualité ou de l’inégalité hommes femmes, qui, même si elles ne sont pas au cœur des revendications du mouvement citoyen, sont des questions essentielles à traiter pour ancrer le pays dans la modernité et permettre à la jeunesse et aux femmes algériennes de mieux se projeter dans l’avenir.

Farid Yaker, président du Forum France-Algérie
Membre du Collectif Citoyen Dzayer 2.0

Références de l’articles et liens utiles :
https://www.courrierinternational.com/article/opinion-apres-la-diffusion-dalgerie-mon-amour-tant-dhysterie-ne-peut-quinterpeller

https://www.tsa-algerie.com/alerte-lalgerie-rappelle-son-ambassadeur-a-paris/

Teaser
https://www.programme-television.org/Videos/Algerie-mon-amour-France-5-bande-annonce

http://www.razika-adnani.com/razika-adnani-algerie-mon-amour-souleve-des-questions-quil-est-necessaire-de-creuser/?fbclid=IwAR0AL6wwvdQwoF4_pqiE5DOkwwIcM5YsdDuerxyl-s3t8-UfyPJqHfHUcNo

https://www.youtube.com/watch?v=5RCwlCfW93U
Emission 5/5 de Radio M

https://www.franceculture.fr/societe/algerie-mon-amour-le-documentaire-qui-dechaine-les-passions

https://www.courrierinternational.com/article/opinion-apres-la-diffusion-dalgerie-mon-amour-tant-dhysterie-ne-peut-quinterpeller

https://www.elwatan.com/edition/actualite/vive-polemique-sur-les-reseaux-sociaux-28-05-2020

Réaction d’Anis
https://www.facebook.com/watch/?ref=search&v=187216772508021&external_log_id=24387291-f676-47be-b98f-d61a2f0a8b84&q=anis%20documentaire

Réaction de Sonia
https://www.lavantgarde-algerie.com/article/actualites/sonia-siam-lune-des-protagonistes-du-documentaire-de-france-5-repond-ses-detracteurs

https://www.nouvelobs.com/ce-soir-a-la-tv/20200526.OBS29347/algerie-mon-amour-la-revolution-des-bourgeons.html

https://www.elwatan.com/edition/culture/mustapha-kessous-journaliste-et-realisateur-du-film-algerie-mon-amour-il-y-a-une-chance-historique-de-changer-lalgerie-et-de-la-mener-vers-la-democratie-26-05-2020